« Les bases » de l’éducation canine

Dans l’intitulé de mon métier, on retrouve la notion d’éducation canine et, très souvent (pour ne pas dire quasi systématiquement) lorsque les gens me contactent, ils se réfèrent à cette appellation mais aussi à une notion que j’avais envie de creuser un peu, à savoir « les bases ».

Comme à mon habitude, cet article n’a pas vocation à juger qui que ce soit car j’ai moi-même appris ces choses – que nous allons détailler un peu – à mes premiers chiens, pris du plaisir ou juger très nécessaire de le faire. Aujourd’hui, j’aimerai simplement amener mes lecteurs à se questionner un peu sur ces notions que j’appellerai « classiques » ou « traditionnelles » de l’éducation canine, pour les remettre en question mais, aussi, pour recentrer le débat sur ce que j’estime – à titre peut être très personnel mais je pense que quelques personnes seront d’accord avec moi – être vraiment important en termes d’apprentissage lorsque l’on cohabite avec un chien.

 

Des attentes éducatives éloignées de la réalité

Lorsque l’on me contacte, on me demande soit l’apprentissage de ces fameuses « bases » ou bien on m’annonce fièrement que le chien les maitrise mais qu’il faudrait les perfectionner, les approfondir ou alors que cela n’a pas réglé le problème pour lequel je suis désormais sollicitée.

 

Mais quelles sont donc ces bases dont on me parle si souvent ?
Lorsque je questionne les gens, on me parle d’obéissance et de positions telles que « assis », « couché », « pas bougé » ou encore « donne la patte ». On me parle de « marche au pied » défectueuse ou de « va à ta place » qui ne dure pas longtemps, d’un « rappel immédiat » et d’un « stop » à distance.

Mais on me parle rarement et d’emblée de la sociabilité avec l’humain ou les chiens, de l’apprentissage de la solitude, de la capacité à se promener sereinement en respectant les usagers des lieux publics, par exemple. Pourtant, de mon côté, cela me semble ô combien plus important. On a également une peine infinie à restreindre nos attentes car notre éducation, notre société, notre culture nous imposent un cadre dont on est bien malaisés de sortir. Exemple : le chien qui va dans son panier lorsque l’on mange ou que l’on accueille des gens à la maison. Bien souvent, cette demande est sollicitée par l’humain qui veut pouvoir manger sans être embêté par le chien ou accueillir des invités sans que le chien ne les bouscule ou saute dessus. Alors on prend un raccourci (qui n’en est pas un, si on réfléchit bien) et on apprend au chien à « obéir à un ordre », à « aller à sa place » pour ne pas s’embêter à lui apprendre à être calme et respectueux en présence de nourriture ou bien à l’arrivée de nouveaux humains dans son foyer. Parce qu’apprendre à un chien à aller dans une zone précise, on peut le faire en lui donnant des biscuits ou en lui faisant peur, en suivant un manuel relativement précis et généralisable. Alors que la gestion des émotions, c’est un sujet pas franchement universel, qui demande parfois plus de temps et, surtout, moins d’orgueil. Parce qu’on n’est pas dans le contrôle (qu’il soit exercé de manière sympa ou pas hein, là n’est même pas le sujet) mais plutôt dans l’acceptation, la patience, le lâcher prise parfois (souvent ?). On accepte aussi de ne pas se référer aux standards télévisuels de Lassie qui « obéit au doigt et à l’œil » ou de ne pas faire comme tous les gens que l’on suit sur Instagram ou comme ce que nos parents/familles nous ont appris. On sort du prisme de la réalité collective, de l’idée du « bon chien obéissant » qui doit s’exécuter parce qu’on l’a décidé. Attention ! Cela ne veut en aucun dire qu’un chien doit vous voler votre repas dans votre assiette ou fracturer le col du fémur de votre grand-mère lorsqu’elle vient diner ! Cela veut juste dire qu’on peut lui apprendre à ne pas faire ces choses sans passer par une obéissance conditionnée, automatisante et réductrice.

 

Et puis, d’une manière bien plus terre à terre, pour être parfaitement honnête, je trouve que beaucoup de ces bases sont parfaitement inutiles dans le quotidien. Mes deux plus jeunes chiens ne savent pas s’assoir sur commande, par exemple. Et quand j’y réfléchis avec honnêteté, que je me demande si cela pourrait m’être utile dans ma vie de tous les jours, la réponse est non. Je n’en n’ai pas besoin de cette obéissance là pour bien vivre avec mes chiens. Si j’ai besoin de leur essuyer les pattes, je ne leur demande pas de s’assoir pour le faire, pas plus que pour leur servir à manger ou mettre un harnais.
En revanche, ils savent se poser à ma demande, ce qui peut être intéressant pour les brosser, les soigner, les regarder ou leur demander de patienter. Mais ils peuvent alors s’assoir ou se coucher, de manière détendue et naturelle. Ils peuvent faire un choix, dans un spectre réduit qui me conviendra mais qui les respectera également.

 

Pour rester dans le registre du pragmatique, si je pousse un peu plus loin ma réflexion en me demandant de quoi j’ai vraiment besoin dans ma vie de tous les jours, je suis capable de dresser une liste telle que :

  • Tolérer les humains
  • Tolérer les chiens
  • Être propre
  • Cohabiter sereinement avec les autres chiens du foyer
  • Savoir rester seul.e
  • Tolérer les autres espèces domestiques (chats, chevaux, poules, etc…)
  • Revenir au rappel
  • Ne pas tirer en laisse
  • Monter et descendre, voyager et patienter correctement en voiture
  • Être calme en intérieur
  • Etc…

education-chien

 

Cette liste est non exhaustive et elle peut être bien différente d’une personne à une autre mais elle reprend tout de même des notions un peu universelles d’une vie « standard » avec un chien de nos jours. Et, lorsque je présente les choses ainsi à mes clients, en leur disant que, si tout ça est maitrisé, en plus de la réponse quotidienne aux besoins fondamentaux de leur chien, ils pourront bien faire du assis-couché, ils rigolent et me disent que j’ai sans doute raison. Parce que, in fine, quand on réfléchit un peu, on se rend compte que ces « bases », elles sont loin d’être si nécessaires, si utiles, si intéressantes et, surtout, vraiment pas une solution à nos problèmes. Elles peuvent même, parfois, les accentuer !

Demandez à un chien stressé ou excité de s’assoir dans une situation trop stimulante pour lui. Il le fera peut-être… mais parfois au détriment du comportement suivant, qui sera accentué par l’effort requis pour obéir.
Ma consœur Valérie Goncalves parle très justement de cela en utilisant la métaphore d’une casserole d’eau mise sur le feu. Montez le thermostat et l’eau va bouillir. Si vous ne voulez pas voir l’eau bouillir, vous mettrez un couvercle. Mais, si vous ne baissez pas le thermostat, lorsque vous retirerez le couvercle, l’ébullition sera toujours là et vous prendrez même de la vapeur en plein visage ! Si vous souhaitez que l’ébullition diminue, la solution ce n’est pas le couvercle mais la diminution du thermostat… Vous me suivez ?

 

Quand on parle d’éducation avant d’envisager la relation

Enfin, j’ai également à cœur de vous rappeler que ces « bases éducatives » ne sont pas plus garantes du bon « savoir vivre » de votre chien que de la qualité de la relation que vous allez entretenir avec lui.
En effet, si vous souhaitez faire des demandes à votre chien, si vous avez besoin d’en faire, on commencera donc par se demander ce qu’il est pertinent d’attendre et de demander mais, aussi, de savoir que vous obtiendrez des résultats probants en gagnant sa coopération. Et la coopération n’est le fruit que du lien que vous allez tisser avec votre chien. Ce lien, il se construit jour après jour, au gré des expériences que vous vivez ensemble. Il se renforce d’autant si l’humain est un partenaire de vie de confiance et de cohérence pour le chien. Et l’obéissance telle que nous l’avons évoqué plus haut n’est bien souvent ni rassurante ni cohérente, encore moins juste, justifiée ou logique pour le chien… Une raison de plus de se questionner sur tout cela car, finalement, tout est lié. Nous attendons de l’écoute de la part de notre chien, en prenant pour acquis que nous la méritons alors que nous sommes bien souvent à côté de nos besoins véritables, pour les mauvaises raisons… et de ses besoins à lui, à plus forte raison.

 

En bref, j’avais envie de vous interpeller sur cette notion de « bases éducatives » car on m’en parle tous les jours et il ne s’en passe pas un seul sans que je me dise que les bases sont bien ailleurs, pour moi. Sans que je trouve cela dommage pour ces familles qui passent à côté de ce qui me semble essentiel, au profit de ce qui fait joli en vidéo sur les réseaux sociaux. Sans que je regrette que l’on ne pousse pas un tout petit peu plus loin la réflexion sur ce qui construit un chien qui va bien, autant dans son esprit, dans son corps, que dans la société qu’on lui impose. Sans que je ne me dise que si on passait autant de temps à embellir notre relation avec nos chiens qu’on en passe à leur apprendre à courir derrière une balle ou à donner la patte, ils nous écouteraient définitivement beaucoup mieux, dans beaucoup plus de contextes différents. Ou pas. Mais on s’en ficherai peut être…

 

Vos « bases » ne seront peut-être pas les miennes mais je pense qu’on peut tous s’accorder à dire que, pour bien vivre avec son chien, l’essentiel n’est pas qu’il sache donner la patte. Et qu’il est temps de démocratiser largement cet état d’esprit afin que nous puissions tous mieux vivre ensemble et de manière aussi bien authentique que pragmatique.

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