Ca fait déjà un bon moment que je voulais écrire un petit quelque chose à ce sujet car il est vrai que c’est un sujet récurrent, tant dans mon métier que dans ma vie de propriétaire de chiens, cette espèce de fatalité qui semble régner autour du concept de race.
Catégorisation, ce vilain mot
En effet, il n’est pas rare, je dirai même qu’il est plutôt fréquent, que j’entende des choses telles que « il n’a pas de rappel mais je ne m’inquiète pas trop, c’est un Shiba/Akita/Chow Chow, etc…, c’est normal » ou « il ne se pose jamais à la maison mais bon, rien de surprenant pour un Berger Australien/un Jack Russel, etc… » et il faut bien admettre que j’ai moi même une tendance désastreuse à m’engouffrer dans ce piège du « c’est normal, c’est tel ou tel chien ». Mais je pense que nous commettons là une grave erreur.
Attention, ces exclamations peuvent être portées par beaucoup de bonne volonté, celle de respecter son chien pour ce qu’il est, de répondre à ses besoins, etc… et le fond du problème est alors plutôt joli car on est dans une démarche de compréhension de son animal. Mais l’est on vraiment, finalement ? Est ce que c’est réellement vouloir comprendre son chien que de le placer dans une case ? Est ce vraiment le respecter en tant qu’individu unique que de le catégoriser de la sorte ? Je n’en suis finalement pas si sûre et je trouve que c’est un débat qui peut ouvrir à beaucoup de réflexion.
En effet, prenons un exemple très personnel.
J’ai le plaisir d’être l’humain de deux bergers australiens, un mâle et une femelle, tous deux très différents l’un de l’autre et des autres Australiens que je connais. Ils sont uniques, comme chaque chien. Pourtant, lorsque la majorité des gens les rencontre, ils se disent que ce ne sont pas de « vrais » australiens car ils sont plutôt très calmes en intérieur, pas franchement sur excités en extérieur (même s’il leur arrive évidemment d’être dynamiques) et avenants avec les inconnus. Autant de comportements parfois difficiles à expliquer pour les gens extérieurs qui voient dans cette race de chien un « chien de travail », dont le standard stipule qu’il est normal qu’il soit méfiant vis à vis des étrangers et nécessitant une dépense d’énergie physique et mentale énorme. Oui mais voilà, lorsque j’ai accueillis mes chiens, je vivais au centre de Paris dans un studio de 28 mètres carrés dans lequel il était tout simplement impossible de faire la java ou de ne pas se poser. J’étais nettement plus jeune et pas mal dépourvue de préjugés donc j’avais en tête qu’il était important qu’ils sortent et rencontrent d’autres chiens, qu’ils profitent de la nature mais pas beaucoup plus. On peut y voir un acte irresponsable de ma part de ne pas m’être renseignée à fond sur la race, de ne pas avoir tenu compte des besoins qui étaient censés êtres les leurs et ce n’est pas l’attitude que je recommande à mes clients. Mais, parfois, une méconnaissance peut être à l’origine d’une absence d’attente ou d’idées reçues plutôt favorables. Car, comme je n’ai jamais vu mes chiens comme de potentiels piles électriques, ils ne le sont pas devenus.
Bon, ok, ce n’est pas aussi simple et minimaliste que ca. Mais c’est quand même un bon point de départ.
D’autant que ces préjugés nous mettent parfois carrément dans la m****, si vous voyez ce que je veux dire. Combien de Shiba aie-je rencontré qui n’avaient pas de rappel parce que leur propriétaire n’avait même pas tenté de le leur enseigner ? Bah oui, ca sert à rien, un primitif n’a pas de rappel. Combien de bergers sur excités par des jeux de lancés parce que « un berger a besoin de se défouler » ?
Oui, sauf que, rentrés à la maison, on a besoin que le chien soit capable de se poser, de ne pas s’allumer à la moindre micro stimulation. Qu’une fois dehors, on a besoin de cette écoute mutuelle entre l’humain et le chien, celle qui favorise la liberté, l’exploration et les rencontres. Cette fatalité à laquelle on confronte nos chiens, elle existe parfois par excès de zèle, parfois pour se voiler la face (plus facile de croire que son chien n’a pas de rappel plutôt que de s’exposer au risque de le laisser libre, par exemple) mais, en aucun cas elle ne me semble saine ou pertinente ou même cohérente.
Sélection, quand tu nous tiens.
Alors, bien sûr, la sélection existe et a joué son rôle. On est d’accord sur le fait qu’un Border né dans une ferme, de deux parents qui travaillent aux montons quotidiennement a statistiquement plus de chance de présenter des comportements apparentés au rassemblement qu’un Dogue de Bordeaux et il faut en tenir compte dans le choix que l’on fait de son futur compagnon, dans la prise en compte de l’individu qu’il est. Mais si cela doit être une conscience, ce ne doit pas être une ligne de conduite. Ou alors je pense qu’il faut avoir le courage de pousser la réflexion plus loin et de se demander ce que des chiens aussi aptes à remplir le rôle pour lequel on les a formaté, et cela bien avant leur naissance, font dans nos maisons.
Car, que les choses soient bien claires, je parle ici du chien de famille. Pas du chien de travail qui accompli une tâche spécifique quotidiennement. Les bergers et les soldats ne sont pas concernés par cet article car les comportements de leurs chiens cohabitent parfaitement avec le mode de vie qu’ils proposent. Je parle ici de mes clients, des gens lambdas ou même des amateurs éclairés mais vivant une vie normale, dans un appartement ou une maison, avec une famille ou des amis, des contacts sociaux, en ville ou à la campagne.
Ainsi, ayons le courage de se demander pourquoi on attend d’un chien de protection de troupeaux qu’il ne « garde » pas son appartement ou son jardin, par exemple ? Ou pourquoi on demande, justement, à des Borders de lignées de travail de ne pas courir après les joggers ? Ou à des Malinois de ne pas avoir un énorme besoin mastication, de prise en gueule ?
Car si on doit rentrer dans ce discours du « c’est normal, c’est telle race de chien », je pense que la finalité va être loin de nous satisfaire… car tous les chiens d’utilité devraient alors y retourner, purement et simplement !
Quel avenir donc, pour le chien de famille ? Une sélection plus pertinente, c’est évident, plus éloignée de l’utilité « professionnelle » du chien et plus proche d’un contexte familial. Ce qui est déjà plus ou moins à l’œuvre, notamment au sein des lignées dites « de beauté », par exemple. Une prise de conscience de la part des futurs adoptants également. Pourquoi aller chercher un chien de travail si l’on vit une vie de famille ?
Et, enfin, le cœur de cet article, plus de recul quant à ce que l’on attend de nos chiens et des cases dans lesquelles on a très vite fait de les placer.
Applications pratique ?
Du coup, j’ai maintenant mon chien, non issu d’une lignée de travail, plutôt adapté à mon contexte de vie, du moins, sur le papier. Que dois je faire ? Comment envisager son évolution, son éducation ?
Déjà, en le regardant. Tous les chiens n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes envies, qu’importe leur race. Encore une fois, j’ai deux Australiens qui peuvent passer 3 jours sur le canapé sans mettre une patte dehors (hormis pour faire leurs besoins hein. Je vois d’ici les accusations de maltraitance !) sans que ca leur pose le moindre problème. Même si ce sont des Australiens ! En revanche, mes Bergers Allemands vont tolérer moins longtemps de ne pas avoir d’activité physique. Ce qui ne veut pas dire que celle ci est nécessairement quotidienne. Et oui car tout est une question de jongler entre leurs besoins, leurs individualités et mes besoins d’humains. Si je veux que mes chiens se posent en intérieur, je dois leur offrir la possibilité de se détendre régulièrement, dans la nature, en liberté. Cela n’a rien à voir avec leur race et tout à voir avec les individus qu’ils sont, en balance avec les impératifs que je leur impose. Certains chiens, avec le même quotidien, ne seront pas satisfaits, pour d’autre, cela sera bien trop actif.
Importance doit également être donnée aux caractéristiques physiques d’un chien. Vous avez beau être propriétaire d’un bouledogue anglais super sociable et dynamique, lui offrir 2h de randonnées en plein été n’est peut être pas l’idée du siècle…
Ensuite eh bien… on compose ma foi !
On compose entre ce dont on a besoin dans nos vies d’humains tout en gardant à l’esprit que tout cela demande beaucoup d’efforts, à n’importe quel chien. Ce n’est pas plus facile pour un Bichon d’être tenu au bout d’une laisse de 1,50 mètres que pour un Husky ! Ce n’est pas plus dur pour un Rottweiler de rester seul que pour un Shi-Tzu. Il n’y a pas de raison concrète pour que le rappel soit quelque chose de plus insurmontable pour un Chow Chow que pour un Shetland !
La seule raison qui pourrait pousser une telle chose à arriver, c’est une démission de l’humain. Car, bien souvent, on arrête avant même d’avoir commencé. On se crée des limites, on cherche à rentrer dans une case ou la solution la plus rapide, la plus simple pour nous. On veut absolument que son Retriever joue à la balle, on trouve ça normal de ne jamais détacher un Beagle qui a trop le nez par terre. Alors, c’est sûr, certains chiens n’auront peut être jamais un rappel extraordinaire ou immédiat ou parfait, en toutes circonstances. Mais la race n’est pas nécessairement à l’origine de cette problématique et je connais des chiens réputés pour leur trop grande indépendance qui ont une capacité à revenir lorsqu’on les appelle (encore faut il que ce soit pour les bonnes raisons…) absolument satisfaisante.
Et puis, finalement, il reste l’escalade dans la violence et, là, on part dans les colliers électriques et autres joyeusetés du genre « parce qu’avec ces chiens là, c’est la seule solution ».
Je pense que l’on ne voit pas jusqu’où cette stigmatisation peut nous mener, quels risques elle nous fait courir dans le relationnel que l’on a ou que l’on voudrait avoir avec son chien. J’en reviens à ma question de départ : finalement, est ce que c’est vraiment respecter son chien que de la catégoriser à ce point ?
Cet article ne donne aucune réponse à aucune question. Peut être parce que je prends de plus en plus conscience que les modes d’emploi n’existent pas, qu’il faut cheminer un peu seul pour répondre à ces questions finalement très personnelles. Mais je pense que c’est notre devoir de, au moins, nous interroger, nous questionner. Pour savoir si l’on est sur la bonne voie, si on ne pourrait pas changer un peu sa perspective, son angle de vue, pour améliorer quelque chose et rendre la vie de nos compagnons plus douce. Car il ne faut jamais perdre de vue que les chiens n’ont pas demandé à être là, à faire partie de nos vies. Nos vies si contraignantes, si opposées à leurs besoins fondamentaux, inhérents non pas à leurs races mais à leur espèce. C’est peut être ça, au final. Arrêtons de ne voir le chien qu’en terme de races et commençons à le regarder comme appartenant à une espèce : le Chien.